Commentaire de texte :
Lautréamont, Les Chants de Maldoror
Le passage
étudié se situe dans le Chant III à la strophe 5. Maldoror se trouve
face à un pont qu’il veut franchir pour accéder à une maison de passe où il a
pu apercevoir un homme et une femme juste après l’acte sexuel. En regardant par
la grille, il va rencontrer un cheveu qui exprimera son désarroi d’abandon. Il
aborde à travers ce passage la notion du vice, de la religion et de la
condition humaine.
C’est pourquoi, nous verrons
en quoi Lautréamont à travers cet extrait nous donne une vision pessimiste de
l’humanité.
Dans un premier temps, nous
verrons que le passage nous offre une métaphore filée de l’enfer puis dans un
deuxième temps en quoi l’homme est soumis à sa condition.
Tout d’abord, on constate que
cet extrait nous donne ne métaphore filée de l’enfer. De part, l’image du pont
qui serait l’image du lien entre la vie humaine et le monde du vice, de plus,
la mise en garde inscrite à la sortie du pont appuie sur le fait qu’une
transition se met en place entre l’entrée et la sortie du pont :
« J’allai descendre du pont, quand je vis, sur l’entablement d’un pilier,
cette inscription, en caractères hébreux : « "Vous, qui passez
sur ce pont, n’y allez pas. Le crime y séjourne avec le vice ; un jour, ses
amis attendirent en vain un jeune homme qui avait franchi la porte
fatale." » On retrouve d’ailleurs tout au long de l’extrait le champ
lexical des caractéristiques de l’enfer comme premièrement l’idée
d’enfermement « un guichet, dont la grille possédait de solides barreaux, qui
s’entrecroisaient étroitement. » (l.9, 10,11) l’homme est à ce moment devant
cette grille ce qui a deux signification, en étant devant ceci montre qu’il est
difficile d’y pénétrer ce qui montre l’importance du lieu, l’importance de
l’entrée dans cet endroit. Puis, en étant à l’intérieur, ceci montre qu’il est
difficile d’en sortir, « la matière qui l’entourait comme une
prison » (l.36) et « cette chambre claquemurée » (l.47) va dans
ce sens, il s’agit du cheveu enfermé dans la chambre, lieu du vice, ceci serait
donc une métaphore de l’enfer. Autre caractéristique de l’enfer énoncée ici,
est l’absence de lumière, symbole de l’enfer : « D’abord je ne pus
rien voir ; mais, je ne tardai pas à distinguer les objets qui étaient
dans la chambre obscure, grâce aux rayons du soleil qui diminuait sa lumière et
allait bientôt disparaître à l’horizon » (l.12, 13, 14, 15,16) on a ici
une métaphore de l’enfer avec l’idée de la lumière qui disparait au loin pour
signifier que lorsque l’homme pénètre dans l’enfer symbolisée par la chambre
voit s’éclipser tout ce qu’il a de bon en lui. De plus, cette idée d’enfer peut
se remarquer par la présence d’une référence à la langue biblique de l’ancien testament
avec l’inscription à la sortie du pont écrite « en caractères
hébreux » (l.5) ce qui conforte la métaphore filée car le paradis et
l’enfer est une croyance religieuse. La représentation la plus frappante de
l’enfer est celle de « la porte fatale » (l.8) ce qui montre qu’une
fois cette porte franchie il sera impossible de revenir en arrière, il y a ici
une notion de destin. Pour finir, l’enfer est décrit par ce passage « Le
crime y séjourne avec le vice » (l.6) on pourrait dire ici qu’il s’agit
d’une définition de l’enfer.
Dans ce passage l’enfer est
décrit comme celui de la tentation et de la débauche : « Et quelle
femme ! Les draps, sont encore moites de leur contact attiédi et portent,
dans leur désordre, l’empreinte d’une nuit passée dans l’amour » (l.49,
50, 51), il s’agit ici du vice et de la luxure. De plus, si nous observons à la
première phrase « A ce spectacle, moi, aussi, je voulus pénétrer dans
cette maison ! » (l.1-2) le « ce spectacle » est ici le « ce »
est anaphorique car il réfère au passage précédent où il a vu un homme et une
femme après s’être adonné au péché de chair, juste avant le passage étudié la
femme et l’homme sont sortis de la chambre et il est dit « elle en était
sortie, pour attendre une autre pratique » ce qui montre que « cette
maison » est une maison de passe, c’est ici une autre référence à l’enfer
du vice. Cette idée de lupanar est appuyée par la présence du guichet nommé
ligne 10 qui est donc un comptoir avec une petite ouverture grillagée, pratiquée à hauteur
d'appui dans une porte, où l’on règle quelque chose, ici il
s’agit donc de payer pour les services d’une prostituée. De plus, on peut aussi
trouver des références à la forme phallique qui symboliserait l’ambiance qui
règne dans la chambre et donc le vice comme l’image de « l’anguille »
(l.29) pour une comparaison avec le mouvement du cheveu, on peut aussi ajouter
l’acte du cheveu « et montrait un de ses bouts, devant le grillage du
guichet » (l.31, 32) on peut donc considérer ces passages comme des
connotations à l’appareil génital masculin, ce qui contribue à cette
description du vice et de la maison de passe. Lautréamont nous offre ici une
description de l’enfer du vice par le biais de la métaphore filée et des
connotations.
Cet enfer exposé par
Lautréamont, peut rappeler l’enfer de Dante en particulier par le biais de
l’inscription avant la porte que lit Maldoror : « "Vous, qui
passez sur ce pont, n’y allez pas. Le crime y séjourne avec le vice ; un jour,
ses amis attendirent en vain un jeune homme qui avait franchi la porte
fatale." Cette phrase fait référence à l’Enfer de Dante dans La Divine
Comédie et en particulier à la mise en garde de la porte de l'Enfer :
"Vous qui entrez, abandonnez toute espérance." On peut en déduire que
Lautréamont s’est inspiré de cet ouvrage pour constituer son propre enfer. La
maison close ainsi que le climat noir et obscur qui plane dans le texte n’est
pas sans rappeler les châteaux obscurs et paysages angoissants du roman de
Dante. Tout les deux adoptent la métaphore pour décrire leur enfer. On peut
noter cette phrase de Jean-Marie Le Clézio à propos de Lautréamont et ses Chants
de Maldoror : « Comme le Dante de la divine Comédie, le lecteur
s’aventure dans un autre monde, un Enfer… Nous sommes frappés par l’aspect
dangereux du paysage des Chants, sa sauvagerie comme dans l’Enfer de
Dante : étendues désertes, forêts, rochers au bord de l’Océan, paysages
nocturnes… ». On peut donc dire que ce passage rappelle sans conteste
l’Enfer de Dante.
Dans ce passage, Lautréamont
nous donne donc une vision de l’Enfer et plus particulièrement celui du vice
par le biais de la métaphore filée et des connotations tout en s’inspirant de
l’Enfer de Dante. Par la suite, nous allons voir que la présentation de cet
Enfer met en avant la condition de l’homme et une critique de la religion.
En effet, nous pouvons voir
que par le biais de cette métaphore de l’enfer, Lautréamont nous confronte aux
réactions de l’homme face à la tentation et donc face à sa condition. Il
confronte le personnage au vice et de ce fait le met l’épreuve. La réaction de
Maldoror est la tentation, l’envie d’en savoir plus et de participer lui aussi
à ces pratiques amorales : « A ce spectacle, moi aussi, je voulus
pénétrer dans cette maison ! » (l.1, 2) cette phrase fait référence à
la fin de scène de débauche à laquelle il a assisté. Lautréamont défini l’homme
comme naturellement curieux et attiré par le mal, l’obscurité, et le vice.
Cette définition peut être appuyée parla mise en garde près de la porte qui devrait
décourager le personnage de vouloir pénétrer dans la maison et pourtant
l’inscription augmente son envie de découverte : « La curiosité
l’emporta sur la crainte » (l.8) Maldoror est donc submergé par son
appétit de savoir. Pour Lautréamont, le personnage comme l’humanité en général
se laisse conduire par leurs désirs et c’est ce qui les mène à leur perte. La
curiosité est destructrice car une fois le vice connu l’homme ne pourra en
sortir indemne. Chez Maldoror la curiosité est particulièrement importante car
il défit à la fois la mise en garde ainsi que la grille à barreaux :
« Je voulus regarder dans l’intérieur, à travers ce tamis épais. »
(l.11, 12). L’homme est naturellement curieux et mauvais, la vue de l’homme et
de la femme enfermée dans le vice ont poussé Maldoror à approcher cette
chambre. On voit ici le pessimisme de Lautréamont face à sa conception de
l’humanité. Il nous rappelle que l’homme est soumis à sa destinée et ne peut y
soustraire.
Cette curiosité est des plus
malsaines étant donné que le cheveu qu’il voit à l’intérieur est prisonnier de
cette chambre. Le cheveu permet d’appuyer cette métaphore filée de l’enfer
étant donné qu’il est prisonnier de cette chambre. Mais la chambre aussi la
métaphore du vice. Le cheveu serait une représentation de l’esprit de l’homme
qui essaie de se défaire du vice auquel il a gouté. Tout d’abord, Maldoror voit
le cheveu comme un « bâton blond » ce qui donne une certaine force
par rapport à ce qu’il est réellement, mais aussi garde le suspens sur ce qu’est
vraiment ce « bâton blond » on apprend les événements en même temps
que le personnage, le narrateur est ici interne, il découvre qu’à la ligne 34
et 35 qu’il s’agit d’un cheveu : « Je me mis à le regarder de plus en
plus attentivement et je vis que c’était un cheveu ! ». L’image du
bâton donne une force car l’action qu’il opère est d’essayer de sortir de cette
chambre. Le cheveu tente de se défaire de cette chambre et de cette débauche.
C’est un combat intense que Lautréamont présente entre le cheveu représentant
de tout être et la chambre close liée au vice. La métaphore de l’homme peut
être conforté par le passage de la ligne 29 : « Quoique haut comme un
homme », même s’il ne se tient pas droit, il y a ici une comparaison
directe entre le cheveu et l’homme. De plus, ce combat est explicité, tout
d’abord par des verbes de mouvement : « Ce bâton se mouvait ! Il
marchait dans la chambre ! » (l.18, 19), « Il faisait des bonds
impétueux, retombait à terre et ne pouvait défoncer l’obstacle. » (l.32,
33). Cette lutte est intensifié par les adjectifs d’intensités :
« Ses secousses étaient si fortes, que le plancher chancelait ; avec
ses deux bouts, il faisait des brèches énormes dans la muraille et paraissait
un bélier qu’on ébranle contre la porte d’une ville assiégée. » (l.19, 20,
21, 22, 23) on souligne ici des noms communs relevant du mouvement et de la
destruction comme « secousses », « brèches » ainsi que le
verbe conjugué à l’imparfait « chancelait ». De plus, la comparaison
avec le bélier nous donne une indication su l’intensité de la lutte du cheveu
face à la chambre close, ceci montre sa détermination à vouloir sortir de ce
lieu, les termes de « ville assiégée » suppose que le bélier tente de
sortir d’un endroit envahi par un ennemi, ici le vice. On retrouve la notion
d’enfermement pour définir les murs de la chambre qui l’entoure, le vice serait
un état dont on ne pourrait se défaire malgré une résistance intense :
« Après une grande lutte avec la matière qui l’entourait comme une prison »
(l.35, 36), la comparaison est équivoque ; mais la « prison »
est indestructible « Ses efforts étaient inutiles ; les murs étaient
construits avec de la pierre de taille, et, quand il choquait la paroi, je le
voyais se recourber en lame d’acier et rebondir comme une balle
élastique. » (l.23, 24, 25, 26, 27) Les tentatives du cheveu pour parvenir
à sortir de cette chambre sont un échec, la comparaison avec la « balle
élastique » et le verbe « rebondir » montre bien l’incapacité du
cheveu à détruire une partie du mur, ainsi que la répétition de mouvements
infructueux. Le cheveu n’est pas de taille face à la chambre comme les êtres ne
sont pas le poids face au vice une fois qu’ils y ont gouté.
De plus, Lautréamont à travers
ce passage nous offre sa vision de la religion et plus particulièrement de
Dieu, qu’il considère comme un homme soumis à sa condition. Si on prend en
compte le chant dans son intégralité, on apprend que le cheveu appartient à
Dieu. On peut voir ceci comme une synecdoque, il faut comprendre le cheveu comme
l’esprit de Dieu. La présence de la religion s’observe aussi par le terme
« guichet » qui fait référence à la maison de passe mais aussi au
guichet du couvent, ainsi qu’ave l’écriture en hébreux sur l’inscription au
bout du pont. Donc, Dieu serait un acteur du vice et d’actes de débauche, il
serait un homme comme les autres attiré par le mal et la luxure. Il détruit ici
la vision habituelle de Dieu comme une divinité du Bien. Il en fait un être
attiré par la chair féminine : « "[…] Il m’abandonne, dans cette
chambre claquemurée, après s’être enveloppé dans les bras d’une femme. Et
quelle femme ! Les draps sont encore moites de leur contact attiédi et
portent, dans leur désordre, l’empreinte d’une nuit passée dans
l’amour… "» Le cheveu est ici pour nous informer sur les faits
pratiqués par son propriétaire. Dieu est décrédibilisé comme il l’a été
précédemment au début du chant III où Lautréamont le présente comme un ivrogne
et un débauché, il continue donc ici afin de montrer que l'être humain est donc
ainsi. Lautréamont expose ainsi sa thèse: l'homme incarné ici par Maldoror
ainsi que les divinités sont nécessairement mauvais.
Lautréamont à travers ce
passage nous expose sa vision de l’homme et de la religion. Selon lui, l’homme
et la divinité sont sur un même pied d’égalité face au vice et à la débauche.
Les êtres sont naturellement mauvais de part leur curiosité et leurs désirs.
Ceci se comprend à travers les métaphores filées de l’enfer et du vice.
Lautréamont use de la comparaison pour exprimer son pessimiste face à l’espèce
humaine. De plus, en décrivant son enfer, il fait quelques références à Dante
dans La Divine Comédie, il nous montre ici ses références littéraires.