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Seminararbeit
Romanistik

Université de Lausanne

2010

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ID# 4158







Séminaire d’histoire littéraire Maïté Corthay

Le conte au XVIIIe siècle 5 mai 2010


l’entretien et la conversation

le conte comme reflet de la sociabilité au xviiie siècle


« L’entretien […] mêle les sujets, fait ricocher la discussion sur des thèmes divers, il mime la conversation dans son décousu et sa fantaisie. »[1] Cette citation de Michel Delon s’applique dans une première mesure aux contes de Diderot, dont il tente de dégager les mécanismes d’écriture, ainsi que les enjeux.

Mais elle peut aussi, dans un second temps, s’appliquer à d’autres auteurs du siècle des Lumières qui, ainsi que le très célèbre encyclopédiste, usent du dialogue philosophique dans leurs contes. Il apparaîtra donc intéressant, dans une perspective d’histoire littéraire, de se pencher sur ce type de discours qui, sous l’Ancien Régime, permit aux auteurs et philosophes de véhiculer leurs idées.

Afin de cerner les relations qui existent entre la culture des Lumières et sa production littéraire, trois contes dits « philosophiques » seront ainsi analysés sous l’angle de la conversation. Il s’agira de l’Entretien d’un philosophe avec la maréchale de ***, achevé d’écrire par Diderot en 1774 ; puis de Zadig de Voltaire, publié pour la première fois en 1747 ; et pour terminer, le conte de Sade écrit en 1788, Eugénie de Franval.

Ainsi, après une analyse des entretiens dans ces contes, nous tenterons de les comparer et d’établir des relations entre les œuvres et leur contexte, pour finalement en dégager les implications socio-culturelles.


L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert associe les termes d’entretien et de conversation, en ce sens qu’ils « désignent en général un discours mutuel entre deux ou plusieurs personnes ». Toutefois, l’entretien porterait plutôt sur un objet déterminé, tandis que la conversation passerait d’un sujet à un autre.[2]La définition de ces deux termes reprend donc en partie le propos de Delon au sujet de Diderot.

Mais voyons d’un peu plus près ce qu’il se passe dans le texte qui s’intitule justement Entretien.

Ce conte, qui s’inspire d’une véritable entrevue de Diderot avec la maréchale de Broglie, met donc en scène une conversation entre deux personnages, d’une part Diderot qui représente la figure d’un philosophe, d’autre part la maréchale, femme dévote de la société mondaine.

L’effet de mise en scène est d’autant plus fort que les répliques des interlocuteurs sont systématiquement signalées par leur nom, ainsi que le sont les personnages d’une pièce de théâtre. Le conte est d’ailleurs presque entièrement constitué de dialogue, à l’exception d’un premier paragraphe où le narrateur, alias Diderot, introduit cette conversation tout en dressant un portrait de la maréchale, ainsi que de deux autres phrases en fin de texte, qui permettent d’amener l’entretien à son terme.

En ce qui concerne le lieu, tout l’entretien se déroule chez la maréchale, alors que celle-ci est à sa toilette. On notera donc bien que la discussion philosophique survient dans le cadre d’un espace privé et mondain ; la maréchale n’est pas une savante, ce qui contraint le philosophe à adapter son propos, afin d’être compris de son interlocutrice.

Il fait ainsi appel à un discours hétérogène, mêlant fables et légendes qui explicitent ses idées, plutôt que d’user d’un langage purement philosophique : « Je vous ai fait tout à l’heure une histoire, et il me prend envie de vous faire un conte »[3].

Cet espace mondain permet cependant au philosophe de jouer sur la séduction : « La religion, qui a fait, qui fait et qui fera tant de méchants, vous a rendue meilleure encore ; vous faites bien de la garder. »[4] Son discours n’est pas totalement rationnel, mais essaie de toucher la maréchale par le biais de la flatterie.

C’est ainsi que Diderot aborde dans ce conte diverses questions de philosophie sur la religion, la morale et les lois, sans toutefois adopter une position dogmatique ; au contraire, la forme de l’entretien lui permet d’aborder des thèmes d’actualité sur le ton de la discussion, comme si le conte n’était qu’une continuité des sujets débattus en société, notamment dans les salons.

Angus Martin évoque d’ailleurs l’idée du conteur qui s’offre « comme témoin, qui participe à la vie de son siècle et la commente »[5].


Il n’en reste toutefois pas moins un conte philosophique, genre inventé par Voltaire lui-même en 1747, selon Michel Delon et Pierre Malandain.[6] De plus, ces derniers évoquent la question des thèmes dans l’œuvre de Voltaire, « scénarios qui s’emparent de questions d’actualité […] et qui, en les dépaysant ostensiblement, mettent chacun des lecteurs à même d’en éprouver l’urgence et d’évaluer les réponses qui leur sont ludiquement apportées »[7].

Quand à la question de l’entretien dans Zadig, elle est illustrée à plusieurs reprises par le biais de courts dialogues ou de séquences narratives. Mais au contraire du conte de Diderot qui, dans son ensemble, forme une seule et unique conversation, celui de Voltaire est une suite d’épisodes variés, mais illustrant la même thématique, à savoir le destin.

Bien qu’ayant une visée philosophique, dans ce cas montrer l’absurdité d’une tradition tellement vétuste qu’on ne la remet même pas en question, la conversation ne se restreint pas à ce seul sujet. En effet, Zadig « lui parla longtemps d’une manière à lui faire aimer la vie »[9].

La conversation prend dans ce cas un rôle social « civilisateur », dans la mesure où elle permet à la veuve de développer son raisonnement. Car au XVIIIe siècle, la conversation est l’apanage des salons que fréquentent les hommes de lettres, tel Voltaire ; et ainsi que l’affirme l’Histoire de la France littéraire, « le salon apparaît donc, en définitive, comme un lieu de culture, au sens fort du terme, c’est-à-dire de formation de l’homme »[10].

On parla de plaisir. »[12]. Dans ce passage, l’entretien est doublement qualifié, puisqu’il est « aussi instructif qu’agréable »[13].


Le dernier entretien qu’il reste à aborder appartient à Eugénie de Franval, conte qui a été écrit juste avant la Révolution. C’est donc un point clé du siècle des Lumières, puisqu’il se situe à la fin de cette période. Sade porte d’ailleurs un regard critique sur la philosophie, dont il reprend certains aspects, tel les codes moraux, et qu’il pousse à bout, au point de les retourner contre eux-mêmes.

Cette distanciation de la société des Lumières se retrouve dans la conversation entre Clervil et Franval. Le texte évoque clairement l’idée d’un entretien, puisque Clervil dit : « […] je me reproche d’avoir consenti aux désirs de Mme de Farneille, en vous faisant demander la permission de vous entretenir un instant »[14].

Cela ne ressemble pas à une conversation, telle que le siècle des Lumières la conçoit. En effet, on ne trouve dans ce dialogue aucune trace de divertissement ou de plaisir, car il s’agit d’une contrainte pour chacun des protagonistes : Clervil accepte l’entretien afin de rendre service à Mme de Farneille et à sa fille.

Quant à Franval, il est disposé à recevoir Clervil, dans la mesure où il s’imagine pouvoir le manipuler.

Pourtant la sociabilité du XVIIIe siècle, d’après l’Histoire culturelle de la France, stimule « les plaisirs intellectuels et ceux de la civilité tout à la fois » par le biais de l’art de la conversation, désigné comme un « plaisir »[15].


Les conversations dans Zadig, de même que dans l’Entretien d’un philosophe avec la maréchale de ***, sont le reflet, et peut-être même le résultat, d’une sociabilié au XVIIIe siècle, qui se manifeste à travers l’augmentation croissante des salons, des académies et autres lieux où se rencontrent les gens de lettres, afin de confronter leurs idées et de former leur esprit.

La conversation est donc le centre même de cette sociabilité.

Réservé d’abord à un cercle fermé, composé de l’élite de la société et des savants, le discours philosophique s’ouvre, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, à un plus large public, à savoir la société mondaine, dont la conversation devient la clé de voûte.

Mais Sade nous donne malheureusement l’exemple du revers de cette sociabilité qui tend donc malheureusement à s’éteindre vers la fin du siècle.




[1]Michel Delon, « Préface », dans Diderot, Contes et Romans, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2004, p. XXVII.

[2]L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Paris, 1751, tome IV, p. 165.

[3] Denis Diderot, Contes, Paris, Livre de Poche, 1998, p. 118.

[4]Ibid, p. 113.

[5] Angus Martin, « Présentation » de l’Anthologie du conte en France, 1750-1799. Philosophes et cœurs sensibles, Paris, UGE, 1981, p. 46.

[6]Michel Delonet Pierre Malandain, Littérature française au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1996, p. 188.

[8] Voltaire, Zadig et autres contes orientaux, Paris, Pocket, 2001, p. 58.

[9]Idem.

[10] Michel Prigent (dir.), Histoire de la France littéraire, Classicismes XVIIe - XVIIIe siècle, tome 2, Paris, PUF, 2006, p. 112.

[11] Voltaire, op. cit., p. 87.

[12]Idem.

[13]Idem.

[14] Sade, Les Crimes de l’amour, Paris, Gallimard, 1987, p. 334.

[15] J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli (dir.), Histoire culturelle de la France, tome 3, Paris, Seuil, 1998, p. 52.


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